Méthode de la dissertation en sciences sociales (2)

Comment faire un plan ?

Il n'y a pas de recette miracle. Mais voici quelques principes généraux et des outils pratiques, parfois utiles.

Le plan doit toujours permettre une réflexion sur la question posée, il doit être problématisé. Plan et problématique sont les éléments les plus difficiles mais aussi parmi les plus importants d’une dissertation. Le plan et la problématique se reflètent en principe l'un et l'autre. C'est à dire que le plan choisi doit apparaître comme la conséquence logique de la problématique retenue de sorte que même s'il est indispensable d'annoncer à la fin de l'introduction, clairement mais sans lourdeur, les grandes parties du développement, celles-ci doivent "naturellement" découler de la problématique choisie.

Il faut éviter les plans non problématisés. Par exemple pour le sujet : "le comportement du consommateur est-il rationnel ?", un plan du type : I. L’analyse néoclassique et II la critique de l’analyse néoclassique, est un plan non problématisé. Quel questionnement ce sujet a-t-il suscité ? On ne le voit pas. C’est un plan qui ne révèle aucune réflexion et au mieux (ce qui est un défaut en dissertation) une simple récitation d'éléments du cours. Les titres des parties et des sous-parties, qui correspondent en pratique aux premières phrases desdits blocs de texte, doivent permettre de dégager les idées essentielles de la démonstration. Encore faut-il qu'il y en ait une.

L'analyse du sujet permet d'orienter vers certains types de plans. S'il s'agit d'une question fermée, on peut répondre a priori par oui ou non même si cela peut susciter un débat ("est-ce qu'il fait froid ?"). Ou bien la question peut être ouverte : "quelle est la couleur du ciel aujourd'hui ?" Là aussi il peut y avoir discussion mais la structure des réponses ne sera pas la même dans les deux cas. A noter qu'un sujet de dissertation n'est pas nécessairement énoncé sous forme de question même si, par tradition, les sujets de l'ESCP qui sont ceux auxquels vous serez confrontés le jour du concours sont présentés sous forme interrogative. Même si des guerres de religions ont pu se développer au sujet du nombre idéal de parties dans le développement, il faut considérer que fondamentalement vous pouvez très bien réaliser, en sciences sociales, une excellente dissertation en deux ou en trois parties.

Commençons par les sujets prenant la forme de questions fermées. Le plus souvent deux structures sont possibles :

Un plan en deux parties : oui/mais ; non/mais. Attention il ne s'agit que d'une structure, non suffisante en soi, il faut donner à chaque partie un titre adapté au sujet précisément posé. Les arguments de la première partie sont ceux sur lesquels on souhaite insister dans la démonstration. Le plan est nuancé, il ne faut pas présenter une argumentation contradictoire : la deuxième partie vient apporter des précisions qui relativisent les affirmations de départ, ou bien avec une perspective différente on peut nuancer ce que l’on a d’abord affirmé. Il ne faut pas démontrer une chose dans la première partie et son contraire dans la seconde.

Autre possibilité, le plan en trois partie, dialectique complet : thèse/antithèse/synthèse. C'est une structure classique, mais en même temps pas très aisée à manier. Les maladresses proviennent souvent de la troisième partie qui risque d’embrouiller la démonstration ou bien de développer des idées qui auraient très bien pu l'être dans les deux premières. C’est donc un plan plus délicat à mener, la troisième partie doit dépasser l’opposition initiale (qui ne doit pas être artificielle) et adoptant par exemple une nouvelle perspective qui permet d’aborder le sujet sous un nouvel angle.

En cas de question ouverte, on ne peut pas répondre par oui ou non. Par exemple en réponse au sujet "pourquoi épargner ?". Un écueil à éviter est le "plan catalogue", qui liste des éléments de réponse sans les articuler et sans faire ressortir les arguments importants. Là encore le plan en deux parties est sur le principe aussi bon que le plan en trois parties. Des structures types peuvent aider à l’émergence d’une organisation des idées qui se décline en plusieurs parties. L’objectif est de créer un balancement entre les parties, l’une répondant à l’autre, encore une fois afin d'éviter le plan catalogue. Par exemple, pour une structure en deux parties, on peut jouer sur des oppositions :

Interne/externe
Quantitatif/qualitatif
Microéconomique/macroéconomique
Structurel/conjoncturel
Court terme/long terme
Offre/demande
Endogène/exogène
Direct/indirect
Synchronique/diachronique

On peut certainement trouver d'autres balancements. Attention à l’opposition positif/négatif : parfois utilisable, elle peut cependant conduire à des jugements de valeur, ce que l’on évite en sciences sociales où le but n’est pas de juger mais de comprendre.

Étudions maintenant quelques cas particuliers.

Les sujets d’analyse d’un phénomène. Par exemple : "les évolutions du système financier français depuis les années 1980". Si le phénomène à analyser est complexe, une structure telle que : caractéristiques / causes des évolutions / conséquences des évolutions, peut être envisagée.
Si le phénomène ne pose pas de problèmes de définition, si le sujet n'invite pas à aborder un problème de définition, il ne faut surtout pas faire une partie définition dans le plan (voir la première partie de la méthode). Une structure I. causes / II. conséquences peut parfois convenir.

Le sujet peut porter sur les causes ou les conséquences d’un phénomène. (par exemple les causes du chômage). Dans ce cas on peut chercher à se rabattre sur les oppositions citées plus haut. Causes micro/causes macro ou bien conjoncturelles/structurelles etc.

Certains sujets portent sur des concepts ayant plusieurs dimensions. Par exemple un sujet sur les innovations peut être traité en distinguant les innovations de procédés des innovations de produits. Un sujet sur la compétitivité peut être abordé en distinguant la compétitivité prix de la compétitivité structurelle.

Certains sujets invitent à mettre en relation différentes notions. "Ceci" et "cela". Il faut envisager la pertinence de l'étude de la relation dans les deux sens. Les effets de "ceci" sur "cela" mais aussi peut-être les effets de "cela" sur "ceci". Par exemple, " déficit budgétaire et croissance ". Il ne faut surtout pas faire une partie sur le déficit et une partie sur la croissance mais construire un plan qui étudie les interactions entre les phénomènes. La relation n'est cependant pas nécessairement pertinente dans les deux sens pour tous les sujets ; il faut simplement ne pas oublier d'envisager l'intérêt sur réflexion sur les deux sens de la relation.

Certains sujets invitent à comparer des situations. Dans ce cas il ne faut pas les étudier séparément mais construire un plan qui mette en évidence les points communs et les différences. On peut ainsi faire deux parties (points communs/différences) ou alors subdiviser le développement en grands thèmes, communs aux deux situations, et pour chaque thème souligner les points communs et les différences. Par exemple : comparez la crise de 1929 et celle de 2008. Les thèmes peuvent être les causes/ le déroulement/ les conséquences.

Les sujets à dimension essentiellement historique peuvent amener aussi à des plans chronologiques. Dans ce cas, il faut repérer des césures temporelles fortes en lien avec le thème. Attention aux cassures-réflexes comme les guerres mondiales ou les changements de siècles qui ne sont pas forcément des ruptures pertinentes pour tous les sujets. Par exemple, un plan répondant à un sujet sur l’évolution de l’activité professionnelle des femmes qui prendrait 1945 comme césure entre les parties du développement ne serait pas pertinent. Ce n’est pas une date décisive pour ce sujet.

Voilà donc une diversité d'outils. Les règles de structures, les normes formelles de la dissertation ne doivent pas constituer des cadres qui emprisonnent ou même brident la pensée. Au contraire, elles trouvent leur justification dans la clarification qu'elles imposent à l'argumentation, dans l'efficacité aussi que leur utilisation pertinente apporte à la démonstration.

Si vous recherchez davantage de précisions sur la méthode de la dissertation, voici trois ouvrages qui approfondissent l'étude de l'exercice et fournissent des exemples :

Vous pouvez consulter :

Jean Etienne et René Revol, La dissertation économique aux concours, Armand Colin, 2008
Laurent et Luc Simula, La dissertation économique , La découverte, 2014.
Gilles Ferréol, La dissertation sociologique, Armand Colin, 2006.
Pierre Saly, La dissertation en histoire, Armand Colin, 2012.


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